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Joints en caoutchouc

Économie

La réindustrialisation, pourquoi cela ne marche pas ?

Frédéric Amoudru - Etudes et Stratégie  

 

Dans son ouvrage pré-électoral de 2017 intitulé « Révolution » Emmanuel Macron avait eu cette formulation assez vague « L'ambition qui doit nous animer est de renouer avec le rêve productif qui est au cœur de notre histoire et de notre identité » mais il faut être honnête le mot réindustrialisation ne figurait nulle part dans son programme. 

Son objectif affiché était celui d’adapter notre tissu industriel à la transition écologique et d’investir dans « l’industrie du futur » mais à aucun moment il avait placé la désindustrialisation et son inversion au cœur de ses préoccupations. 

Marine le Pen en avait fait un point clé de son programme avec la promesse de mettre en œuvre un plan de réindustrialisation en associant industrie et « Etat-stratège ».   

Les Français ayant sèchement tranché en faveur du héraut de la « start-up nation » qui plaçait le numérique en tête de gondole on ne peut lui reprocher d’avoir trahi une promesse qu’il n’a jamais faite. 

Ceci ne veut pas dire que le sujet était ignoré comme en témoigne le programme « Territoires d’industrie » lancé en 2018 et qui définissait 148 zones à forte activité industrielle où devaient être développées les compétences, la mobilité des salariés, la disponibilité du foncier pour s’implanter ou s’agrandir. 

Rien de vraiment « révolutionnaire » si ce n’est le renforcement de l’interaction entre l’Etat et les collectivités locales pour piloter les projets dans les territoires. 

La crise Covid de 2020 et l’humiliation nationale de se trouver à court de produits considérés comme essentiels a provoqué la stupeur.

Fin 2020 le gouvernement lance le plan France Relance qui sans être spécifiquement dédié à la réindustrialisation contenait une mesure importante pour l’économie: 10 Mds par an de réduction des « impôts de production » avec :  

  1. La réduction de moitié de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).

  2. La réduction de moitié de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour leurs établissements industriels.

  3. L’abaissement de la cotisation économique territoriale (CET).  

Environ un quart de cette baisse profite à l'industrie mais les premiers bénéficiaires sont le commerce, la finance et les assurances. Rien de plus normal puisque les entreprises manufacturières ne représentent plus grand-chose (environ 9% du PIB).

En mai 2023 Macron annonçait en grande pompe le « Temps II » du programme « Territoires d’Industrie » qui s’intègre dans un plan plus global dénommé « France 2030 » doté d’une enveloppe de 54 milliards sur 5 ans. L’objectif est de financer dix secteurs innovants, et en 2 ans, environ 25 milliards ont déjà été dépensés. Environ 30 milliards devraient encore être disponibles pour dynamiser  l’économie sur 3 ans, avec un effet de levier escompté de 1.6 c’est-à-dire l’effet d’entraînement sur l’investissement privé de l’argent public.

 

Toutefois plus de la moitié de cet effort est dédié non pas à l’augmentation de notre capacité industrielle mais à sa décarbonation.   

Avec cette politique volontariste, le gouvernement espère porter la part de l’industrie dans l’économie à 15 % du PIB tricolore d’ici à 2027.  



La Banque Publique d’Investissement note qu’il a fallu attendre 2022 pour observer une véritable évolution dans la relocalisation française et la réindustrialisation, amorcée en 2017 ce que confirme le cabinet Trendeo, qui a enregistré 300 créations nettes d’usines sur la période 2017-2022, alors que 600 disparitions nettes avaient été comptabilisées après la crise financière, entre 2008 et 2016. 

Toutefois comme il a été souligné par de nombreux experts les nouvelles unités créées sont de petite taille et n’ont qu’un impact marginal sur notre tissu industriel. 

La preuve se trouve dans notre commerce extérieur.

En 2014 le solde de notre balance commerciale de produits manufacturés était de – 37,6 Mds et ce chiffre n’a cessé de se détériorer pour atteindre -73.5 Mds en 2023 donc un doublement. 

On pourra nous dire que nos exportations de biens manufacturés sont passée de 400.7 Mds à 550 Mds sur cette période soit +37% donc cocorico, mais les importations des dits biens sont passées elles de 438.4 Mds à 623.5 Mds soit +42% …patatras. Ce n’est évidemment pas l’image que projette un pays qui se réindustrialise même à minima. Si c’était le cas nous importerions moins ou exporté plus et notre solde commercial des biens manufacturés se serait amélioré ou au pire stabilisé. On en est loin.  

 

En fait la part de notre industrie manufacturière dans le PIB est restée stable à un peu plus de 9%. 

Regardons un autre chiffre crucial, l’emploi industriel. C’est l’INSEE qui nous le livre.

Prenons comme base la fin du 2ème trimestre 2017 puisqu’Emmanuel Macron a été élu en mai de cette année. Il était de 2.766.900 personnes. A la fin du 4ème trimestre 2023 nous atteignions 2.865.800 soit un gain de 98.900 personnes ou + 3.5% en 6.5 ans. 

  

Durant la même période le nombre total de salariés est passé de 25.179.100 à 27.077. 600 soit un gain de 1.898.500 ou + 7.5%.

Nous voyons bien que l’industrie n’a représenté qu’une part tout à fait marginale de la croissance de l’emploi durant ces dernières années.   

Pourtant entre 2017 et 2022, le nombre d’emplois industriels vacants a été multiplié par trois, passant d’environ 20 000 à 60 000 ce qui pose un problème inattendu : une insuffisance criante de main d’œuvre qualifiée disposée à travailler dans l’industrie.  Ceci dans un contexte où selon Roland Lescure, ministre délégué en charge du secteur affirme fin 2023 que « Dans les dix ans qui viennent, on va avoir besoin de recruter plus d’un million de personnes parce qu’on se réindustrialise et parce qu’il va falloir remplacer de nombreux départs à la retraite » et de rajouter que l’industrie française aura besoin de 100.000 à 200.000 étrangers dans les 10 ans à venir.  

   

Nous sommes dans une véritable quadrature du cercle et en particulier pour le camp national hostile à plus d’immigration. 

Car si on consacre des ressources importantes à la réindustrialisation mais que nous devons faire massivement venir des immigrés pour occuper les postes que nous créons nous sommes dans une contradiction criante. 

La désaffection pour les métiers techniques et technologiques n’est pas nouvelle et elle a été alimentée par une désindustrialisation rampante et forcément décourageante pour les jeunes. 

L’effort consacré à l’apprentissage et l’alternance est énorme : environ 6.5 Mds pour les Centre de Formation des Apprentis, près de 10 Mds de rémunération directe pour les apprentis/alternants et plus de 5 Mds d’aides aux employeurs pour un total d’environ 22 Mds. Mais il a été réparti sur tous les secteurs sans aucune discrimination en faveur de l’industrie. Résultat le chômage des jeunes a eu tendance à baisser, ce qui est un succès, mais les jeunes continuent à privilégier les métiers du tertiaire.        

 

Les deux autres freins à la réindustrialisation restent le coût du travail et les « impôts de production ».   

« Mais on a quasiment annulé les cotisations patronales au niveau du SMIC ! » pourrait-on rétorquer.

C’est vrai mais l’industrie d’aujourd’hui ne se fait pas au SMIC !

La vérité c’est que nous ne sommes passés au fil des ans d’usines d’ouvriers à des usines de techniciens en raison de la robotisation et un technicien ne se rémunère pas au SMIC mais bien au-dessus. Or avec la montée progressive des charges jusqu’à 1.6x le SMIC soit 2.827 euros bruts par mois les cotisations patronales tapent fort (31%) et le coût mensuel pour l’employeur grimpe à 3.841 euros.

Mais ce sont les comparaisons européennes qui sont les plus parlantes.

L’institut économique parisien Rexecode compile depuis des années le coût du travail dans les pays de l’UE.

 

Quelques chiffres sur le coût horaire moyen dans l’industrie manufacturière en euros (incluant la rémunération plus les charges)    

 

 

Que nous enseigne cette longue série de chiffres ? 

En 2000 nous avions un différentiel de coût du travail de plus de 15% en notre faveur avec nos voisins d’Outre-Rhin. Nous étions 31% plus cher que les Italiens et 59% que les Espagnols.

Dès 2004 nous rattrapons quasiment l’Allemagne et nous gardons à peu près le même écart avec l’Italie et l’Espagne.

En 2008 nous sommes au même niveau que Berlin mais l’écart se creuse avec Rome (+ 38.3%) et Madrid (+ 63.5%).

En 2012 les écarts restent à peu près les mêmes. 

Mais avec la « politique de l’offre » (baisse des charges + CICE) instaurée durant le quinquennat Hollande, on constate en 2016 un léger creusement entre l’Allemagne et la France de 6.3% en notre faveur mais qui s’érode à nouveau rapidement et dès 2020 on retombe à seulement 3.0 - 3.5%. Le fossé avec les Italiens (+ 47%) et Espagnols (+75%) reste colossal.   

Toutefois il ne faut pas méconnaître l’impact positif du Crédit d’Impôt Recherche d’environ 6 milliards d’euros qui en pratique réduit le coût de l’ingénieur français et profite largement à l’industrie.

Le coût du travail n’est pas le seul facteur mais il est important et qu’on le veuille ou non l’industrie et l’économie française en général est moins efficiente que celle de l’Allemagne. Nous avons toujours eu besoin d’un différentiel de coût pour rester dans la course au moins au niveau européen sachant que nous ne pouvons pas concurrencer l’Asie sur ce terrain. 

Avant l’euro, la dévaluation compétitive, qui n’avait pas que des avantages, nous donnait cette bouffée d’oxygène. Cette possibilité a disparu depuis 2000 et même avant car la France a pratiqué pendant des années une politique du « Franc fort » pour entrer dans la monnaie unique la tête haute. 

A la problématique de coût du travail s’ajoutent les « impôts de production » un cocktail de taxes qui frappent l’ensemble des entreprises, industrielles incluses. 

Ils sont été abaissés depuis deux ans mais la France reste après la Suède le champion européen avec 4% de son PIB soit environ 100 Milliards d’euros alors que l’Allemagne est bien plus basse à 0.75% du PIB !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Donc non seulement l’industrie française ne bénéficie plus d’un avantage de cout de main d’œuvre avec sa grande rivale allemande mais elle subit un niveau de taxes bien supérieur.     

Comment réconcilier cette situation avec la fameuse attractivité de la France qui nous place en tête de l’Europe pour les projets d’investissement étrangers industriels d’après le célèbre cabinet américain E&Y ? Ses explications : 

En fait les projets sont pour 65% d’entre eux des extensions de sites existants. En réussissant, à l’inverse, à accueillir deux tiers de nouveaux projets, l’Allemagne et le Royaume-Uni renouvellent davantage leur tissu économique avec de nouveaux investisseurs venus en particulier des Etats-Unis ou d’Asie. 

En plus « à cause d’une structure de coût élevée et d’un climat social jugé volatile, un projet d'investissement ne crée en moyenne que 33 emplois en France, quand il en génère 58 en Allemagne et 59 au Royaume-Uni ».

Ce qui attire en France c’est le crédit impôt recherche (CIR), mentionné précédemment, et fait de notre pays la principale terre d’accueil des investissements de R&D. Cela crée des emplois très qualitatifs mais peu nombreux. 

Vient ensuite le vaste choix de compétences que nous offrons grâce à nos excellentes écoles d’ingénieurs.

 

Et enfin la disponibilité d’une énergie décarbonée est notre principal atout industriel avec un parc nucléaire français qui fournit une électricité parmi les moins chères d’Europe malgré les récentes hausses d’EDF.

 

Nous sommes donc loin d’une réindustrialisation massive. Elle prendra du temps mais elle suppose plusieurs conditions. 

La baisse du coût du travail n’est pas achevée en France. Les cotisations patronales remontent trop vite puisqu’à 1.6x le SMIC les baisses de charges sont largement épuisées. Il faut que l’on s’aligne sur l’Allemagne avec un taux de cotisation patronales qui ne dépasse pas 20% alors qu’à partir de 1.6x SMIC nous sommes à 31% et à partir de 2.5x SMIC nous passons à 42%. 

Les impôts de production sont encore bien trop élevés. Ils doivent encore baisser d’au 20 Milliards par an mais il est absurde de les réduire partout et en particulier dans les grandes métropoles dont l’attractivité est déjà forte. C’est dans ce qu’on appelle les « territoires » c’est-à-dire la France rurale, les zones désindustrialisées et les petites villes qu’il faut les abattre massivement. Par ailleurs c’est là que se trouvent les terrains pour créer des usines nouvelles !

 

Mais tout cela ne servira à rien s’il n‘y a pas la main-d’œuvre qualifiée pour occuper les postes créés. 

Il ne suffit pas de claironner que « l’industrie c’est génial » pour que les jeunes et les moins jeunes s’orientent vers ce secteur. 

Il faut faire davantage pour que l’enseignement technologique soit une voie d’excellence et attractive. Il faut envisager de donner des aides pécuniaires pour les jeunes qui la rejoignent à partir de la seconde et poursuivent leurs études dans cette filière.

Pour les jeunes et les moins jeunes qui sont sans-emploi il faut les inciter financièrement à rejoindre des formations qualifiantes pour l’industrie avec à la clé un CDI dans une entreprise industrielle.  

Le financement d’un tel programme de baisse de charges et d’incitations qui se chiffre en dizaines de milliards d’euros ne peut venir que d’une taxe à taux faible et à base très large, la TVA. 

Il faut tout d’abord réduire « le mitage » de cette taxe en remontant au taux standard (20%) des secteurs entiers qui bénéficient des taux réduits à 10% comme la restauration et de nombreux travaux immobiliers. 

Ensuite il faut remonter à 22% ce taux standard. C’est le principe de la « TVA sociale ». 

Il faut aussi faire le ménage dans la jungle des aides aux entreprises qui coûtent des milliards sans efficacité avérée. Le crédit d’impôt recherche mentionné plus haut n’aurait plus de raison d’être avec une forte baisse des charges patronales sur l’ensemble de l’échelle des salaires. 

Enfin cette baisse des coûts et taxes fera bondir les résultats des entreprises qui paieront du coup plus d’impôt sur les sociétés.

La boucle est bouclée avec une économie bien plus performante, créatrice de jobs mieux payés et qui financera plus efficacement un Etat et un modèle social qui auront également besoin d’un effort de rationalisation.   

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