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ECONOMIE

L’annulation de la dette : possible mais pas vraisemblable

Emmanuel Macron devait être le président du sérieux budgétaire et financier.

La crise des Gilets Jaunes, dont il porte largement la responsabilité, avec l’idée irresponsable d’augmenter encore davantage une fiscalité déjà punitive sur les carburants. Car rappelons-le, cette crise ne fut éteinte qu’en concédant une pluie de « gestes » fiscaux et sociaux qui sont venus alourdir nos déficits et notre dette publique et sociale. Loin de s’améliorer, la trajectoire de cette dernière s’est détériorée, à la différence notable de la quasi-totalité de nos partenaires européens. 

Le tableau ci-dessous (source : eurostat) présentant une sélection de pays significatifs nous le démontre amplement. Prenons déjà la moyenne de la zone euro dont le déficit public passe de 3,7% en 2012 à 0,6% en 2019. Amélioration spectaculaire s’il en est. 

Tous les pays ont réussi à sensiblement améliorer leurs performances au point de passer en dessous de la règle bonne ou mauvaise du 3%. Tous sauf un : la France, éternel village d’Astérix, qui pourtant faisait des efforts depuis 2012, mollement certes mais tout de même. En 2019, crise des Gilets Jaunes oblige, tout repart dans le mauvais sens.

       

     Le tableau correspondant du ratio de dette publique sur PIB est tout aussi parlant. 

Le ratio moyen de l’UE chute de 84,4% à 79,2% de 2012 à 2019 et celui de l’Eurozone de 90,7% à 84%, soit un superbe effort de réduction de l’endettement public. Effort auquel la France n’a nullement contribuée. Bien au contraire, puisqu’elle fait le chemin inverse grimpant de 90,6% à 98,1% sur la même période.     

     La crise du Covid-19 a évidemment envoyé par-dessus bord toutes les contraintes budgétaires puisque la plupart des pays d’Europe ont choisi la stratégie du « quoi qu’il en coûte » afin de protéger les personnes et les secteurs touchés par la pandémie.

Le tableau suivant inspiré des prévisions de déficit en % du PIB de la Commission Européenne pour 2022, démontre les efforts budgétaires massifs engagés presque partout, sauf en Suède, pays qui a refusé le confinement du Printemps 2020, mais également les trajectoires différentes de résorption de ces déficits avec, une fois de plus, la France parmi les plus mauvais élèves.

     Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les ratios d’endettement public reflètent ces différentiels de performances dans le tableau ci-dessous, toujours inspiré des prévisions de dette en % du PIB de la Commission Européenne pour 2022.

Alors que l’Allemagne, le Danemark, la Suède vont rajouter moins de 10 points de PIB à leurs ratios d’endettement respectifs, que l’Autriche, la Pologne, la Hongrie, le Portugal et même la Grèce réussissent à contenir cette hausse en dessous de 15 points, la Belgique , la France l’Espagne et l’Italie voient, quant à eux, leurs ratios bondir de plus de 20 points.

La faute à l’euro nous dira-t-on. Non , le Royaume-Uni, pays non membre de la zone euro, bat tous les records, avec une flambée de plus de 28 points comme l’Espagne. 

Au-delà de ce phénomène de hausse qui affecte tout le monde c’est le différentiel croissant de taux d’endettement entre un certain nombre de pays et l’économie centrale de l’Europe, à savoir l’Allemagne. Les écarts, déjà très importants mais qui deviennent béants entre cette dernière et la Belgique, plombée par la Wallonie, la France (plus de 50 points) l’Espagne et le Portugal sans parler de l’Italie (90 points) et de la malheureuse Grèce (125 points) sont–ils soutenables dans la durée ? Tant que la BCE continue à racheter massivement de la dette, peut-être. Mais rien ne nous garantit que cela restera le cas sur le long, ni, encore moins, sur le très long terme. Par ailleurs, il existe aussi le risque d’un certaine « fatigue » des pays « frugaux » à cohabiter dans la même zone monétaire avec des pays incapables de gérer convenablement leurs finances publiques.

   

     Dans un tel contexte, le problème que soulèvent un certain nombre d’économistes est qu’à ce niveau d’endettement les pays « plombés » n’ont plus vraiment de marge de manœuvre budgétaire pour relancer leurs économies.

Pas plus qu’ils n’ont de capacité à faire face à un nouveau choc économique dans les années qui viennent, quelle que soit l’origine de celui-ci.

D’où l’idée, à priori séduisante, d’annuler les dettes souveraines rachetées par la BCE à l’occasion de la crise du Covid. L’objectif étant de revenir aux ratios pré-Covid c’est-à-dire ceux de 2019. 

L’argumentaire qui soutient cette proposition est le suivant : « le Covid-19 n’est pas la faute des humains ni le résultat de notre bonne ou mauvaise gestion. C’est un coup du destin. Il ne faut donc pas que les humains en subissent les conséquences financières ». 

Techniquement, les banques centrales nationales (celles qui en réalité rachètent la dette de leur Etat et non la BCE qui n’est que chef d’orchestre) annuleraient les obligations d’Etat qu’elles ont achetées massivement sur le marché de la dette souveraine. Résultat : l’endettement de l’Etat baisserait à due proportion et lui redonnerait ainsi de l’oxygène. 

Si nous prenons le cas de la France, le surplus de dette, soit la différence entre 98% et 119% de dette est égal à grosso-modo 500 milliards. En 2022, on raye ce montant et, hop !, on revient d’un coup de baguette magique à moins de 100%.

Les opposants à cette idée excipent d’un argument difficilement contestable : l’aléa moral.

Car au fond c’est une martingale merveilleuse qui serait, le cas échéant, inventée. Quel gouvernement ne sera pas tenté après cela de dépenser ce qu‘il doit pour satisfaire les aspirations populaires en terme de services publics, de prestations sociales, de salaires de fonctionnaires, de retraites, de transition écologique etc. puisque les déficits et les dettes qui en résultent seront rachetées par la Banque de France puis annulées ? Pour le dire autrement, pourquoi penser qu’une fois la martingale inventée on se priverait de l’utiliser pour des causes moins nobles que l’effacement des effets du Covid-19 ?

Le deuxième problème est comptable. Il se trouve que la Banque de France est une banque et que, comme toute banque et d’ailleurs toute entreprise, elle a un compte d’exploitation ainsi qu’un bilan avec un côté actif et un côté passif où figure le capital.   

     Si l’on annule 500 milliards d’euros de créances de la Banque de France sur l’Etat, la première enregistre une perte comptable de 500 milliards (rien que ça) et son capital devient négatif à hauteur d’environ 485 milliards d’euros !

On aura donc troqué une réalité pour une absurdité. On aura, en effet, réduit la dette d’un montant considérable au prix d’un artifice comptable et financier absolu. Les pro-annulation répondent que sur le plan opérationnel, rien n’empêche le fonctionnement d’une banque centrale avec un capital négatif même dans des proportions gigantesques. C’est vrai. Mais rien n’empêche non plus le fonctionnement d’un pays avec 120% de dette sur PIB non plus. 

Toutefois, si l’on dépasse l’aléa moral et l’aberration comptable, il reste un obstacle de taille. Juridico-politique cette fois-ci. Rappelons que la Banque de France fait partie du système européen de banques centrales de la zone euro (SEBC ou eurosystème) et qu’elle ne peut, en conséquence, prendre des décisions toute seule. C’est le Conseil des Gouverneurs de la BCE qui est souverain. Donc, pour faire simple, le gouverneur de notre Banque de France ne peut concocter en solo un « deal » avec l’Elysée, Matignon et Bercy pour annuler les fameux 500 milliards de dette. Etant indépendant, il ne peut même pas recevoir d’instructions du gouvernement. Certes le mandat de l’actuel gouverneur se termine en 2021 donc un remplaçant pourrait éventuellement être choisi en fonction de sa docilité aux désidératas du pouvoir. Las, le gouverneur n’est pas tout seul. Il est préside un Conseil Général, une forme de conseil d’administration, dont il aurait le plus grand mal à convaincre que cette annulation est dans l’intérêt de l’institution dont ils ont collectivement la charge.    

Il reste la solution du défaut unilatéral. L’Etat considérant que ces 500 milliards, il se les doit à lui-même. Puisque la Banque de France lui appartient, il n’a nul besoin de s’auto-rembourser ! Cela paraît frappé au coin du bon sens. Mais cela constituerait un défaut de paiement sur ces obligations du trésor que l’Etat répudierait et, partant, une violation des traités européens.  L’objectif de rassurer la communauté financière en baissant ainsi de manière discrétionnaire notre ratio de dette sur PIB sera-t-il rempli dans ces conditions ? Sûrement pas ! 

Il existe une ultime solution. Un accord européen pour annuler cette dette Covid dans les pays « plombés ». Les pays de l’Eurozone et le Conseil des Gouverneurs de la BCE arriveraient à la conclusion que c’est la meilleure option pour sortir du cercle vicieux de l’endettement. Et tant pis pour les bilans des banques centrales françaises, italiennes, portugaises, belges, espagnoles et grecques. Mais là encore, c’est se fourrer le doigt dans l’œil. En effet, qui peut sérieusement croire que les Allemands, les Néerlandais, les Finlandais, les Luxembourgeois, les Slovaques, les Baltes, etc. bref tous ces pays qui se sont serrés la ceinture pour garder des finances publiques saines et soutenables accepteraient que les « cigales » s’en sortent avec une manipulation aussi grossière ?

1 chance sur 10. 

Les nostalgiques de la campagne de Marine le Pen de 2017 peuvent nous rappeler qu’il suffirait de sortir de l’euro pour surmonter tous ces obstacles. Est-ce que les facteurs qui ont suscité l’extrême méfiance d’une grande majorité des Français vis-à-vis de cette option se sont atténués ? Non. Ils se sont même aggravés !  

Alors revenons au point de départ. Est-ce si grave d’avoir une dette de 120% du PIB ? 

Cela serait le cas si nous étions les seuls dans ce marasme. Mais en relisant le tableau ci-dessus, nous voyons bien que nous partageons cette problématique avec les Espagnols, les Italiens, les Belges, les Portugais et même les Britanniques qui ont pourtant quitté l’UE. Sans parler des USA dont la dette va atteindre des niveaux inconnus depuis 1945. Il y a une autre réalité que nous devons connaitre. L’épargne gigantesque des Européens doit bien s’investir quelque part. L’immobilier ? Il est maintenant considéré comme survalorisé. La Bourse ? Les épargnants s’en méfient. Le compte en banque et l’assurance-vie ou ses équivalents chez nos voisins ? Bien sûr mais où va cet argent ? Pour l’essentiel dans la dette publique ! Il n’y a donc pas de problème fondamental à avoir atteint ces niveaux de dettes considérés comme inimaginables il y a quelques années car l’appétit des investisseurs pour la dette d’Etat reste fort. Il est par contre absolument nécessaire de lentement réduire ce ratio himalayen. Pourquoi ? Parce que nous ne pouvons entamer chaque nouvelle crise économique, quelle qu’en soit l’origine, avec un point de départ toujours plus élevé. 60, 90, 100 puis 120% ! A un moment l’élastique va craquer. 

Notre dette est une boule de neige qui remonte la pente. Il faut atteindre un plateau et entamer une descente en pente douce pour qu’en une dizaine d’années nous puissions revenir en dessous de 100%. Ce cheminement n’a rien de surhumain et il n’impose pas un démantèlement de notre modèle social. Par contre, il exige une gestion sensiblement plus sérieuse et plus sélective de notre dépense publique.  

Jean Messiha, président de l'Institut Vivre Français et 

Frédéric Amoudru 

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